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Affaire Superbock : les prix imposés ne constituent pas nécessairement une restriction par objet selon la CJUE

Le 29 juin 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») a rendu une décision préjudicielle d’importance dans l’affaire Super Bock Bebidas SA (C-211/22). La demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Super Bock, spécialisée dans le marché de diverses boissons, à l’autorité de concurrence portugaise. La juridiction de renvoi demandait en particulier à la Cour si l’article 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») devait être interprété en ce sens qu’un accord vertical de fixation de prix de revente constituait nécessairement une restriction par objet per se. La Cour de justice a répondu par la négative considérant qu’un accord de fixation de prix de revente, qu’il soit vertical ou horizontal, ne constitue pas nécessairement en soi une « restriction par objet ». Elle rajoute qu’il est nécessaire d’évaluer si l’accord de fixation de prix révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour conclure à une qualification de restriction de concurrence par objet.

 

En l’espèce, Super Bock avait conclu des accords de distribution exclusive avec des distributeurs indépendants qui revendaient les boissons achetées sur la quasi-totalité du territoire portugais. Dans ce cadre, Super Bock avait imposé de manière constante et généralisée des prix minimaux de revente par le biais de ses conditions commerciales. En parallèle, Super Bock avait mis en place un système de contrôle afin de contraindre ses distributeurs à fournir des données relatives à la revente, et prévoyait des sanctions lorsque la fixation des prix n’était pas respectée.

L’autorité de concurrence portugaise, saisie de cette affaire, a considéré que cette pratique comme étant contraire à l’article 101 du TFUE. L’entreprise a alors introduit un premier recours infructueux devant le Tribunal de la concurrence, de la réglementation et de la surveillance du Portugal. Super Bock a alors interjeté appel devant la Cour d’appel de Lisbonne tendant à l’annulation de cette décision.

A cette occasion, la juridiction de renvoi a décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, notamment celle de savoir si :

L’article 101 § 1 TFUE devait être interprété en ce sens que la constatation qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente constitue une « restriction de concurrence par objet » peut être effectuée sans examiner préalablement si cet accord révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ou s’il peut être présumé qu’un tel accord présente, en lui-même, un tel degré de nocivité. 

Pour rappel, l’article 101 § 1 du TFUE interdit les accords entre entreprises ayant pour objet ou pour effet, d’empêcher, de porter atteinte à la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. En particulier, cet article prohibe les accords qui consistent à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ». Un accord peut néanmoins, selon les cas, bénéficier d’une exemption individuelle sur le fondement de l’article 101 § 3 du TFUE ou relever d’un règlement d’exemption. A cet égard, l’ancien règlement d’exemption n°330/2010 relatif aux accords verticaux (aujourd’hui remplacé par le règlement n°2022/720 – entré en vigueur le 1er juin 2022) prévoyait à son article 4 a) que la fixation de prix constituait une « restriction caractérisée » de concurrence (le nouveau règlement d’exemption n’opère à ce sujet pas de revirement). Il convient de rappeler qu’une telle qualification fait perdre d’office le bénéfice de l’exemption à l’accord dans son entièreté.

 

En réponse à cette question, la Cour juge dans un premier temps que la notion de « restriction de concurrence par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Selon la Cour, le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord, qu’il soit horizontal ou vertical, comporte une restriction de concurrence par objet « réside donc dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence » (point 34 de l’arrêt). Elle continue en précisant, qu’afin d’apprécier si ce critère est rempli, il convient de s’attacher « à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation de ce contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question » (point 35 de l’arrêt). De plus, la Cour insiste sur le fait que « lorsque les parties à l’accord se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à celui-ci, ces éléments doivent être pris en compte en tant qu’éléments de contexte de cet accord. En effet, pourvu qu’ils soient avérés, pertinents, propres à l’accord concerné et suffisamment importants, de tels effets pourraient permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de cet accord » (point 36 de l’arrêt)

Autre point saillant de cette décision, la Cour affirme que les « restrictions caractérisées », contenues dans les règlements d’exemption verticaux, ne se confondent pas avec la notion de « restriction par objet». Si lesdits règlements qualifient les pratiques de fixation de prix minimaux de « restrictions caractérisées », elles ne contiennent pas, en revanche, d’indication sur la qualification desdites restrictions en tant que « restriction par objet ». Dès lors, la qualification de « restriction caractérisée » comporte comme seule conséquence d’exclure ces restrictions du champ de l’exemption par catégorie, mais n’induit pas la qualification de jure de « restriction par objet ».

 

On retiendra que cet arrêt se situe à contrecourant de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence nationales qui ont souvent pour habitude de qualifier – quasi automatiquement – les pratiques de fixation de prix en tant que restriction de concurrence par objet per se au motif que les règlements d’exemption verticaux les qualifient de « restrictions caractérisées ». Par l’édiction d’une réelle méthodologie d’appréciation des pratiques de fixations de prix, la Cour réfute une approche statique du droit de la concurrence tendant à approcher certains comportements de manière purement formaliste (i.e. en classant juridiquement telle pratique comme étant constitutive per se d’une restriction par objet). En effet, la nature restrictive d’un comportement ne pourra plus être présumée de manière automatique et devra être prouvée par l’autorité nationale de concurrence. Dès lors,  cette dernière ne pourra plus se contenter d’apprécier les caractéristiques formelles d’un accord mais devra, au contraire, étudier toutes les circonstances économiques et juridiques dans lesquelles s’insère le comportement examiné.   

Par ailleurs, il n’est pas inenvisageable d’estimer que cette solution puisse logiquement s’élargir par la suite à toutes les restrictions de concurrence caractérisées visées par les règlements d’exemption verticaux.

 

Vous pouvez retrouver la décision de la Cour : ici

 

Mots clés : #Concurrence, #Fixation des prix, #Restriction par objet