La commission du Sénat propose de repousser l’anticipation de la date butoir des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
L’inflation persistante subie par les consommateurs français a contraint l’exécutif français à présenter des mesures d’urgence pour adapter les dispositions du code de commerce relatives aux négociations commerciales dans la grande distribution. L’objectif est de faire baisser les prix au plus vite, et d’anticiper les baisses de prix liées à la diminution du coût des matières premières agricoles (céréales, fruits et légumes, oléagineux, volaille et œufs) et non agricoles (papier, caoutchouc ou bois) sur le marché mondial.
Les règles de négociations commerciales dans la grande distribution encadrées par les différentes lois EGAlim semblent avoir montré leurs limites pour infléchir la tendance de hausse prix actuelle. En témoigne certains mécanismes qui ne sont que difficilement mis en œuvre, comme les clauses de renégociations et de révision automatique des prix instaurées par la loi EGAlim 2 (Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021).
Pour rappel, conformément au cadre réglementaire actuel, issu de la loi n°2008-3 « dite Chatel » du 3 janvier 2008, les négociations commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs doivent s’achever avant la date butoir fixée au 1er mars. Ces négociations permettent de fixer le prix de vente des produits vendus par les industriels à la grande distribution, qui conditionne à leur tour le prix fixé par ces derniers aux consommateurs.
Les lois EGAlim (Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018, Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, et loi du n° 2023-221 du 30 mars 2023) ont d’ailleurs renforcé les sanctions en cas de non-respect de la date « butoir », et ont introduit une mesure expérimentale de trois ans qui permet au fournisseur d’interrompre les livraisons en cas d’absence d’accord à la date buttoir.
Le projet de loi examiné et adopté en séance plénière par l’Assemblée nationale le 9 octobre, prévoit de façon exceptionnelle, en 2024, d’anticiper la date butoir des négociations d’un peu plus de 6 semaines, du 1er mars au 31 décembre 2023 pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros, et au 15 janvier 2024 pour les autres. La commission des affaires économiques du Sénat, lors de son examen du texte ce mercredi 18 octobre, a de son côté amendé le texte en repoussant les dates butoir de 15 jours, au 15 janvier pour les PME et 31 janvier pour les autres. L’objectif est de permettre aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), de bénéficier d’un «délai réaliste de négociations ».
La commission des affaires économiques du Sénat n’a d’ailleurs guère caché son manque d’enthousiasme s’agissant d’un texte qu’elle considère, dans son communiqué de presse, comme «modeste, probablement inefficace voire risqué pour le pouvoir d’achat des Français ». Elle souligne en effet la volatilité des cours des intrants qui rend hasardeuse selon elle une prévision généralisée de la baisse de prix des matières premières.
Le président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, Guillaume Kasbarian, a quant à lui observé lors de l’examen du texte en commission, que le principe même de l’inscription de la date butoir dans la loi constituait un problème, dont l’intérêt mériterait selon lui d’être discuté. En effet, ce dernier considère que le dispositif actuel est « insuffisamment souple pour faire face aux crises », les baisses des coûts de l’amont n’entrainant pas de révisions de prix ou d’ouverture spontanées de renégociation.
S’agissant du champ d’application de ce texte, l’alinéa 1er de l’article 1er I. prévoit que ses dispositions s’appliquent aux relations avec les fournisseurs dont le chiffre d’affaires (CA) annuel hors taxe est supérieur à 350 millions d’euros en France pour la date butoir du 31 janvier, et aux fournisseurs dont le CA est inférieur à ce montant pour la date butoir du 15 janvier. Par ailleurs, le dispositif est restreint aux produits de grande consommation (entendus comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation dont la liste est définie par décret). La commission au Sénat a par ailleurs encore davantage restreint le champ d’application du texte en ciblant spécifiquement les distributeurs « à prédominance alimentaire », c’est-à-dire à la grande distribution.
De même, conformément à l’alinéa 2 du même article, le dispositif s’applique à toute convention entre un fournisseur et un distributeur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français.
Un amendement de la député Karine Lebon, voté contre l’avis du gouvernement, avait permis d’appliquer ces mesures aux produits du Bouclier-Qualité-Prix (BQP) dans les Outre-mer qui doivent se terminer au mois de mars,il a finalement été supprimé par le Sénat en commission.
S’agissant de la controversé majoration de 10% du seuil de revente à perte, parfois accusée de contribuer à l’inflation, la commission des affaires économiques a précisé qu’elle ne souhaitait pas la remettre en cause.
La présentation de ces mesures a suscité le mécontentement de l’industrie laitière, représentée par la Coopération laitière, la Fédération nationale des industries laitières (Fnil), et la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), qui plaide actuellement pour une exemption du secteur, dont elle pourra très probablement bénéficier. En effet, les amendements à ce sujet soutenus par le groupe les Républicains ont été rejetés in extremis en assemblée plénière (39 voix pour, et 40 contre). Ces amendements devraient être à nouveau soumis à discussion lors du vote en séance publique devant le Sénat.
De leur côté, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), représentant majoritaire des agriculteurs, partage dans un communiqué de presse son inquiétude s’agissant des effets de ces mesures d’urgence sur les agriculteurs. Elle craint que ces dernières entrainent une pression sur les prix agricoles, faisant des agriculteurs la principale variable d’ajustement. A cet égard, elle rappelle que la hausse des charges sur les agriculteurs reste très importante, relevant notamment que l’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (IPAMPA) a augmenté de +18% en deux ans, en juillet 2023. Elle insiste enfin sur la nécessité d’assurer le respect des lois EGAlim dans la sécurisation du prix des matières premières agricoles lors des négociations commerciales.
En réponse à ces préoccupations, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire a promis lors d’un déplacement au Sommet de l’élevage le 6 octobre, de « faire respecter rigoureusement toutes les dispositions des lois EGAlim », et de d’assurer que la baisse des prix dans les magasins ne repose que sur les distributeurs et industriels.
En parallèle de ces mesures d’urgence, le gouvernement par la voie du ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, a annoncé le lancement d’une mission gouvernementale « pour réfléchir à la réforme du cadre global des négociations commerciales ».
En attendant, le texte voté par l’Assemblée nationale et modifié par la chambre haute, sera discuté en séance publique au Sénat le 26 octobre.
Vous trouverez le projet de loi :
- voté en Assemblée plénière de l’Aseemblée nationale ici,
- modifié en commission des Affaires économiques du Sénat ici.
Mots clés : @Distribution @Egalim @Deszcrozaille @négociations commerciales