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Actualité

La controversée proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France » adoptée par le Sénat

Mardi 23 mai 2023, le Sénat a achevé l’examen des amendements de la proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ».

Ce texte avait été déposé au Sénat le 14 février par Laurent Duplomb (Sénateur de la Haute-Loire, membre des Républicains), Pierre Louault (Sénateur d’Indre-et-Loire, membre de l’Union Centriste) et Serge Mérillou (Sénateur de la Dordogne, membre du groupe SER Socialiste, Ecologiste et Républicain) et avait été adopté le 10 mai 2023 par la commission des affaires économiques, présidée par Sophie Primas (Sénatrice des Yvelines, membre des Républicains).

Le texte a été transmis à l’Assemblée nationale et sera prochainement discuté par la Commission des Affaires économiques.

 

L’ambition du texte : renforcer la puissance agricole française

L’exposé des motifs du texte dresse le constat d’une puissance agricole française en déclin depuis les années 2010 et une tendance à l’accélération de ce phénomène par l’augmentation de l’importation des denrées. Cette détérioration de la compétitivité a de nombreuses sources parmi lesquelles « la surrèglementation, le poids des charges sur de nombreux postes, une productivité parfois trop faible et des prix souvent trop hauts par rapport à nos principaux concurrents ». Enfin, le texte considère que si rien n’est fait pour endiguer cette perte de compétitivité, l’agriculture française risque de ne produire que des « denrées ultra premium, mais toujours peu rémunératrice pour les agriculteurs, à destination d’une clientèle de niche à fort pouvoir d’achat, le reste des consommateurs français étant contraint de se tourner vers des denrées importées, produites dans des conditions environnementales et sociales non satisfaisantes ou peu transparentes. »

La proposition de loi, composée de 26 articles, a pour but de renforcer la compétitivité de l’agriculture française en l’encourageant à innover et en accompagnant les agriculteurs dans leur transition vers des modes d’activité plus respectueux de l’environnement. Pour cela, elle vise trois objectifs principaux : (i) détendre le cadre normatif et lutter contre les surtranspositions ; (ii) améliorer le cadre fiscal pour favoriser l’investissement et (iii) encourager l’innovation au service de la productivité et de l’environnement.

Ce texte fait cependant également l’objet de critiques. Ainsi, le président de l’UFC – Que Choisir, association de consommateurs, dénonçait une « régression environnementale dangereuse pour la santé des consommateurs » tandis que le journal les Echos titrait « colère écologiste contre une proposition de loi au secours de l’agriculture française ». Il est en particulier reproché à la proposition de loi d’encourager une agriculture intensive et peu respectueuse de l’environnement en voulant par exemple autoriser l’épandage aérien de pesticides par drone ou encore en voulant détendre le dispositif normatif de la réglementation environnementale.

 

Présentation des principaux amendements aux articles adoptés/rejetés

Article 1er A – La souveraineté alimentaire comme intérêt fondamental de la nation – Nouvel article adopté

 Le 16 mai, certains sénateurs, à l’initiative de Sylviane Noël (Sénatrice de la Haute-Savoie, membre des Républicains) et Franck Menonville (Sénateur de la Meuse, membre des Indépendants), ont proposé l’intégration de la souveraineté alimentaire à la liste des intérêts fondamentaux de la Nation, énoncés par l’article L.410-1 du code pénal.

Cet amendement, adopté par le Sénat, vise à consacrer « la capacité de production agricole et le taux d’auto-approvisionnement alimentaire » mais ne se confond pas avec la notion « d’autosuffisance alimentaire ».

 

 Article 1er – Le haut-commissaire à la compétitivité – Modification de la dénomination

 L’article 1e institue le haut-commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises. Doté de larges prérogatives, il a pour but de participer à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques de compétitivité. Il aura également la tâche d’être l’interlocuteur privilégié des filières, pour lesquelles il centralise les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, de manière à pouvoir formuler des recommandations.

La commission a notamment adopté la possibilité pour les filières agricoles de solliciter le haut-commissaire pour l’alerter d’une difficulté entrant dans son champ de compétences. Elle a aussi adopté l’amendement sur la publicité et l’accessibilité des avis et recommandations du haut-commissaire.

Lors de la 1ère discussion en séance publique, les sénateurs ont adopté une modification de la dénomination du haut-commissaire afin d’expliciter que la recherche de compétitivité doit se faire dans un cadre durable et pas uniquement économique. Le haut-commissaire devient donc le « haut‑commissaire à la compétitivité durable des filières agricoles et agroalimentaires ».

 

Article 1er – Le pouvoir de négociation des organisations de producteurs – Irrecevabilité

Certains sénateurs dont Franck Menonville (Sénateur de la Meuse, membre des Indépendants) ont proposé un amendement permettant de renforcer le pouvoir des agriculteurs réunis en organisations de producteurs. L’amendement souhaitait imposer à l’acheteur (industriel ou distributeur) d’obtenir l’accord de l’organisation de producteurs ou l’association d’organisation de producteurs, auxquelles adhère le producteur avec lequel l’acheteur souhaite négocier, pour pouvoir traiter directement avec le producteur.

Cependant, la commission a considéré que l’amendement était irrecevable au motif qu’il constituait un cavalier législatif.

 

Article 8 – L’épandage par drone – Restriction du champ d’application

 Cet article vise à autoriser l’usage de drones sur les terrains agricoles aux fins d’une pulvérisation aérienne de précision de produits phytopharmaceutiques. Ces traitements permettraient de réduire la quantité de produits utilisée, tout en réduisant l’exposition aux substances utilisées.

La commission a souhaité restreindre le champ d’application de l’article pour assurer sa conformité avec le droit européen. Ainsi elle souhaite autoriser une expérimentation pendant 5 ans de ce type d’épandage pour les terrains présentant une pente supérieure ou égale à 30%.

Le 16 mai, le Sénat a complété le dispositif en prévoyant qu’en l’absence de risques inacceptables pour la santé et l’environnement (à l’issue d’une évaluation conduite par l’ANSES), une autorisation provisoire, d’une durée ne pouvant excéder 5 ans, peut être délivrée par le Ministère en charge de l’agriculture.

 

Article 10 – L’étiquetage de l’origine – Maintien de l’article d’origine

 L’article 10 a pour objectif d’améliorer l’information du consommateur sur la provenance des ingrédients des produits alimentaires transformés.

Certains amendements proposaient notamment d’afficher clairement l’origine des fruits et légumes frais en restauration hors domicile ou encore d’élargir aux cinq principaux ingrédients d’un produit alimentaire transformé, l’obligation d’indication d’origine. Ces amendements n’ont pas été adoptés (le premier a été retiré et le second rejeté).

La commission conserve donc l’article tel que proposé dans le texte d’origine, ce qui conduit à instaurer une obligation d’indication d’origine pour les trois principaux ingrédients d’un produit alimentaire transformé.

 

Article 11 bis (nouveau) – L’instauration de contrôle visant à lutter contre le miel frauduleux – Nouvel article adopté

 Le 16 mai le Sénat a adopté un nouvel amendement, l’article additionnel après l’article 11, visant à lutter contre la mise sur le marché de miel frauduleux (un rapport de la commission européenne de 2021-2022 suspectait près de 46% des miel importés en France d’être frauduleux).

Ainsi, le présent amendement vise à mettre en place une obligation d’analyses régulières pour le miel mis en vente sur le marché français afin de vérifier son origine géographique, florale et son absence d’adultération (mélange du miel avec d’autres substances).

 

Article 12 bis (nouveau) – Les clauses miroirs – Nouvel article adopté

L’article 12 instaure un principe de non surtransposition visant à « ce que des mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales prévues par le droit de l’Union européenne ne soient adoptées que si elles sont justifiées par un motif d’intérêt général suffisant ».

Après cet article, la commission a adopté un article additionnel visant à instaurer un bilan du Gouvernement sur la mise en œuvre des clauses miroirs.

Ce rapport doit permettre en particulier de faire le point sur la mise en œuvre de l’article 44 de la loi Egalim du 30 octobre 2018 (devenu article L.236-1 A du CRPM) qui « interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. » et qui a été complété par l’article 3 de la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 permettant aux ministres chargés de l’agriculture et de la consommation, de prendre des mesures conservatoires « afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché en France de[s mêmes] denrées alimentaires ou produits agricoles. »

Lors de la 1ère séance publique, le Sénat a souhaité compléter le contenu du rapport demandé au gouvernement qui devra aussi comporter un bilan de la politique de contrôle sanitaire des denrées alimentaires importées.

 

Article 12 additionnel – L’usage des néonicotinoïdes – Irrecevabilité

Un amendement présenté notamment par Pierre Cuypers (Sénateur de la Seine-et-Marne, membre des Républicains) avait pour objectif de ré-autoriser l’usage de certains néonicotinoïdes à titre dérogatoire. Les sénateurs à l’origine de cette proposition indiquaient que l’interdiction d’utilisation de certains pesticides en France, pourtant autorisés dans l’UE et utilisés dans d’autres Etats-membres, a créé une situation de concurrence déloyale au sein du marché unique en causant de nombreuses pertes de rendements.

La commission a considéré que l’amendement était irrecevable en raison de son caractère de cavalier législatif.

 

Article 21 – Exonération pour l’emploi de travailleurs occasionnels – Pérennisation du dispositif et extension du champ d’application

 L’article 21 entend pérenniser le dispositif d’exonération applicable pour l’emploi de travailleurs occasionnels et de demandeurs d’emplois (TO-DE). Il rehausse par ailleurs, pour tenir compte de l’inflation, le seuil en dessous duquel s’applique l’exonération, et étend le champ des bénéficiaires aux coopératives d’utilisation de matériel agricole et aux travailleurs effectuant la collecte de lait en zone de montagne.

La commission a adopté un amendement afin d’assurer que l’extension du dispositif TO-DE soit conforme au règlement européen sur les aides de minimis et ainsi éviter que cette aide ne soit notifiée à la commission européenne.

Le 16 mai 2023, le Sénat a étendu l’exonération sociale afin qu’elle puisse également bénéficier aux entreprises de travaux forestiers (ce qui représente environs 21 000 personnes) afin de leur donner un « coup de pouce fiscal estimé à 30 millions d’euros ».

 

Division additionnelle après Titre V – Intrusion dans une exploitation – Irrecevabilité

 Enfin, Sylviane Noël (Sénatrice de la Haute-Savoie, membre des Républicains) a proposé d’inclure le dommage léger comme motif de poursuites judiciaires avec des circonstances aggravantes (pluralité d’auteurs, port de cagoule dissimulant le visage, effraction pour entrer dans les lieux). Elle explique que les actes de malveillance envers les agriculteurs de la part d’associations activistes sont généralement classées sans suite à cause de la faiblesse des condamnations proposées par le Code pénal.

La commission a considéré que l’amendement était irrecevable pour cause de cavalier législatif.

 

 

Le texte adopté par le Sénat