Saga judiciaire de la récupération des aides « Plans de Campagne » : la Cour administrative d’appel de Nantes ordonne une expertise afin d’identifier le bénéficiaire effectif
Jusqu’en 2002, la France avait accordé des aides aux producteurs de fruits et de légumes frais, afin d’en faciliter la commercialisation, dans le cadre du « programme Plan de Campagne ». Après avoir été saisie d’une plainte, la Commission européenne a considéré en 2009 que ces aides étaient illégales et incompatibles et a ordonné leur récupération. Par un arrêt de 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a condamné la France en manquement pour ne pas avoir exécuté cette décision dans le délai imparti. C’est dans ce contexte de récupération des aides, que la Cour administrative d’appel de Nantes a ordonné une expertise contradictoire pour statuer sur la requête d’une coopérative sur sa qualité de « bénéficiaire effectif ».
À la suite de cet arrêt, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. L’établissement public national des produits de l’agriculture et de la Mer, FranceAgriMer, a donc émis un titre de recette d’un montant de plus de 3 millions d’euros à l’encontre de la coopérative agricole « Les Vergers d’Anjou ». Cette dernière avait alors demandé l’annulation dudit titre de recette devant le tribunal administratif de Nantes qui a rejeté sa demande.
La coopérative « Les Vergers d’Anjou » a choisi de relever appel du jugement. La Cour administrative d’appel de Nantes estime quant à elle qu’une expertise contradictoire est nécessaire avant de pouvoir statuer sur la requête de la coopérative.
La décision :
La coopérative allègue avoir acquitté plus qu’un million d’euros à la suite du titre de recette émis par FranceAgriMer et conteste le fait que la récupération des aides puisse lui être imputée. En effet, elle soutient que les sommes qu’elle a perçues ont intégralement été versées à ses adhérents.
Cette question est cruciale puisque la Commission indiquait dans sa décision de 2009 au point (84) que :
« L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière ».
Ainsi, la Commission précise que l’aide illégalement versée doit être récupérée auprès du bénéficiaire effectif de l’aide. Tout le problème repose alors sur la question de savoir qui doit être considéré comme tel.
Si la Commission présume dans sa décision qu’il s’agit des producteurs, elle précise que dans le cas où l’administration estimerait que cette aide ne leur a pas été versée, il lui appartient de le démontrer. En conséquence, l’administration devra effectuer la récupération de l’aide directement auprès de l’organisation professionnelle, autrement dit, la coopérative « Les Vergers d’Anjou ».
En effet, les aides en cause ont suivi un circuit financier particulier, qu’il est important de décortiquer afin d’identifier l’entité ayant véritablement bénéficié des avantages. Ces aides avaient été versées par l’Office National Interprofessionnel des Fruits, des Légumes et de l’Horticulture (ONIFLHOR) à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres.
Ainsi, la coopérative fait valoir que les aides illégales ont entièrement été reversées aux membres des organisations de producteurs et que ce sont eux les bénéficiaires effectifs des aides. Elle ajoute qu’il appartient à l’administration de démontrer le contraire si elle entend récupérer les sommes versées auprès de la coopérative.
Cependant, un nouveau problème se pose : la Cour administrative d’appel considère que les pièces fournies ne lui permettent pas d’apprécier le bien-fondé des allégations de la coopérative, ni de savoir si les aides ont effectivement été reversées aux exploitants. Elle relève notamment que la plupart des pièces comptables fournies par la coopérative sont constituées de tableaux qu’elle a elle-même réalisé… Cela n’est toutefois pas étonnant compte tenu de l’ancienneté des faits.
En conséquence, la Cour choisit d’ordonner une expertise afin d’identifier les destinataires de l’aide et dans quelle mesure chacun des destinataires a bénéficié de ladite aide.
La juridiction charge ainsi l’expert de prendre connaissance du dossier et des pièces afin « d’attester [de] la réalité du reversement aux personnes ou entreprises, en qualité de destinataires finaux, des aides perçues […] », et, dans le cas où ce reversement serait attesté, d’identifier, pour chaque aide versée, le montant et le bénéficiaire.
La portée :
Cet arrêt démontre tout le soin et les précautions que la juridiction a choisi de mettre en œuvre pour identifier de façon certaine les bénéficiaires effectifs de l’aide d’état jugée illégale. Cette prudence se ressent aussi et surtout dans la description des missions de l’expert, missions qui doivent permettre d’établir de façon claire les bénéficiaires des aides et le montant précis dont ils ont chacun profité.
La procédure de récupération des aides a en effet pour objectif de rétablir la situation économique telle qu’elle existait préalablement au versement de l’aide, et donc, de remettre l’entité qui en a bénéficié dans une situation où elle n’en aurait jamais récolté… les fruits.
On comprend bien dans ce contexte que l’identification du bénéficiaire effectif revêt alors toute son importance. Sans une telle analyse, on risquerait de ponctionner une entité qui n’a pourtant jamais profité de l’aide et donc, in fine, de faire perdre tout son sens à la procédure de récupération des aides illégales.
CAA de NANTES, 3ème chambre, 01/07/2022, 22NT00179, Inédit au recueil Lebon