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Affaire des bébés nés sans bras dans l’Ain : Propos diffamatoires et exception de bonne foi dans le cadre d’un débat d’intérêt général

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Par une décision du 8 juin 2021 (Crim. 8 juin 2021, n° 20-82.420), la Cour de cassation confirme l’appréciation retenue par la cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 12 mars 2020 et rappelle ainsi – dans le cadre de l’appréciation d’une faute civile –  l’étendue de la liberté d’expression et les critères d’appréciation de la bonne foi dès lors que le sujet abordé concerne une question d’intérêt général et que les propos reposent sur une base factuelle suffisante. L’équipe d’Alinea Avocats Associés est intervenue en qualité de conseil de la partie défenderesse en appel ainsi qu’en première instance.

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La demanderesse, partie civile, a fait citer la défenderesse devant le tribunal correctionnel de Lyon pour s’être rendue coupable du délit de complicité de diffamation publique au sens des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi de 1881 pour des propos tenus dans le cadre de la controverse portant sur l’existence d’un possible cluster de bébés nés sans bras (agénésie transverse isolée du membre supérieur) dans l’Ain entre 2009 et 2014.

La prévenue – médecin généticienne émérite – fut relaxée en première instance, le tribunal ayant jugé que les propos tenus contenaient des allégations diffamatoire, mais que cette dernière pouvait bénéficier de la bonne foi dans le cadre d’un débat d’intérêt général, et rejeté les demandes de la partie civile.

La partie civile a fait appel des seules dispositions civile du jugement, ce qui a amené la Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 12 mars 2020, n°19/01510) à confirmer le jugement entrepris en appliquant les critères permettant de caractériser la bonne foi dans le cadre de l’appréciation d’une faute civile.

Pour rappel, l’exception de bonne foi est caractérisée au regard de quatre critères : le but légitime, l’enquête sérieuse, l’absence d’animosité personnelle et la prudence et la mesure dans l’expression. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que « les juges du second degré, statuant sur le seul appel des parties civiles, doivent rechercher, à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, l’existence de propos diffamatoires à l’égard des parties civiles et apprécier les circonstances propres à caractériser la bonne foi des parties poursuivies, les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne pouvant être réparés que sur ce fondement » (voir notamment Crim., 15 novembre 2016, pourvoi no 15-85.788).

Dans son arrêt du 8 juin 2021, la Cour de cassation a rejeté le moyen tiré du reproche fait à l’arrêt d’appel d’avoir écarté l’existence d’une faute civile au bénéfice de la bonne foi, conformément à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui n’admet que rarement une ingérence nationale dans la liberté d’expression dès lors que le sujet abordé concerne une question d’intérêt général et que les propos reposent sur une base factuelle suffisante (CEDH, Morice c. France, n° 29369/10, para 125 à 127).

Cette solution est à rapprocher de la récente décision dans laquelle la Cour de cassation a rappelé que les juges doivent d’abord examiner « si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères [de la bonne foi], notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression » (Cass. crim., 21 avril 2020, n° 19-81.172).

En l’espèce, la Cour d’appel de Lyon avait estimé que la défenderesse poursuivait un but légitime en apportant sa contribution sur un débat d’intérêt général que constitue le sujet de santé publique relatif à l’existence d’un cluster de bébés sans bras dans l’Ain. Elle notait que la partie civile s’était elle-même placée sur le terrain de la polémique en dénonçant de prétendus scandales et complots, et n’étayant pas ses avis pas des éléments techniques et objectifs validés par une large communauté scientifique.

La Cour d’appel avait relevé que la défenderesse avait quant à elle la légitimité technique et morale pour intervenir dans la controverse, et avait souhaité éteindre une polémique en donnant des argument motivés et étayés sur le fond et la forme et jugé que « même si certains termes étaient durs et vifs, ils n’avaient pas excédé les limites de la liberté d’expression dont dispose et doit disposer tout scientifique dont la compétence est nationalement et internationalement reconnue, pour répondre efficacement et à la hauteur des enjeux dans une matière extrêmement sensible, à de telles communications alarmistes ».