Affaire Saint-Louis-Sucre : la Cour de justice apporte des précisions sur la place des syndicats au sein des organisations de producteurs
Le 15 juin 2023, la Cour de Justice a rendu un arrêt dans l’affaire C‑183/22 suite à une demande préjudicielle présentée par le Conseil d’État.
Ce litige opposait la société Saint-Louis Sucre au Premier ministre, au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation ainsi qu’à la société d’intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d’Étrépagny au sujet de la reconnaissance de cette dernière en qualité d’organisation de producteurs (ci-après l’« OP »), dans le secteur du sucre, pour la betterave sucrière.
Le conseil d’Etat a posé à la Cour de Justice deux questions préjudicielles :
« 1) La règle énoncée par [l’article 153, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1308/2013], selon laquelle les statuts d’une [OP] exigent de ses membres de “n’être membres que d’une seule [OP] pour un produit donné de l’exploitation”, doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs ?
2) Pour s’assurer du respect du principe prévu par [l’article 153, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013], selon lequel les producteurs membres d’une [OP] doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière :
– Y-a-t-il lieu, pour apprécier l’indépendance des membres de l’organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d’autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l’affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l’exercice de responsabilités de direction au sein d’une telle confédération ?
– Suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l’organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d’examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d’un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l’organisation ? »
Retour sur les réponses apportées par la Cour aux questions soulevées par la juridiction administrative suprême.
1e question préjudicielle : sur l’exigence d’appartenance à une seule OP
La Cour de Justice considère que cette exigence vise exclusivement les membres de celle-ci ayant la qualité de producteurs (article 153, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1308/2013).
Ainsi, elle expose que des sociétés et syndicats peuvent être membres de plusieurs OP d’un même produit sans que cela ne fasse obstacle à la reconnaissance en qualité d’OP.
Enfin, elle ajoute qu’une telle participation, si elle conduit à une coordination sur le plan économique entre OP, comporte en revanche un risque de contrariété au droit de la concurrence (point 35).
2e question préjudicielle : sur l’exigence du contrôle démocratique exercé par les producteurs sur l’OP
La Cour de justice prône un contrôle allant au-delà du contrôle formel de la seule appréciation de la documentation statutaire ou de la participation capitalistique mais tenant compte du contrôle exercé de fait par une personne autre que producteur sur les décisions de l’OP.
Afin de déterminer si les statuts d’une OP comportent des règles permettant aux producteurs membres de celle-ci de contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière (article 153, paragraphe 2, sous c)) il y a lieu, selon la Cour de justice, pour l’autorité nationale en charge de la reconnaissance de cette organisation :
D’examiner tout d’abord si une personne contrôle certains membres de l’organisation de producteurs en tenant compte non seulement :
Du fait que cette personne détient une participation dans le capital social desdits membres, mais également de ce que cette personne entretient, avec eux, d’autres types de rapports, tels que,
- S’agissant de membres non-producteurs, l’affiliation de ceux-ci à une même confédération syndicale ou,
- S’agissant de membres producteurs, l’exercice, par ceux-ci, des responsabilités de direction au sein d’une telle confédération
Tout cela doit se faire après avoir vérifié que les producteurs membres de l’organisation de producteurs disposent de la majorité des voix au sein de l’assemblée générale de l’organisation.
Il lui faut encore examiner si, au vu de la répartition des voix entre les membres qui ne sont pas contrôlés par d’autres personnes, un ou plusieurs membres non-producteurs sont, en raison d’une influence déterminante qu’ils pourraient de ce fait exercer, susceptibles de contrôler, même sans majorité, les décisions prises par l’organisation de producteurs.
Il conviendra de suivre avec attention la suite de ce litige afin d’examiner l’appréciation factuelle qui sera faite par le Conseil d’Etat
Le lien vers la décision : ici