Tunnel de prix pour la vente de vins issus de réserves interprofessionnelles : la fixation collective des bornes n’est pas autorisée, selon l’Autorité
D’après l’avis de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») n° 24-A-01 du 12 mars 2024, la mesure d’encadrement des prix des réserves interprofessionnelles envisagée dans le secteur du vin n’est pas conforme aux règles du droit de la concurrence. L’Autorité considère en effet que l’objectif de lutte contre la volatilité des prix pourrait être atteint par les interprofessions par des mesures moins restrictives, en insérant, notamment, dans leur accord interprofessionnel, une disposition permettant aux acteurs concernés de prévoir dans leurs contrats des bornes minimales ou maximales, librement déterminées par les parties à la vente, entre lesquelles le prix de la réserve pourrait fluctuer.
Saisie sur le fondement de l’article L.462-1 du code de commerce par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, l’Autorité a communiqué le 15 avril 2024 son avis du 12 mars 2024 concernant l’encadrement du prix des réserves interprofessionnelles dans le secteur du vin par les organisations interprofessionnelles afin de stabiliser les prix, tant à l’amont, qu’à l’aval.
Alors que les interprofessions vitivinicoles peuvent légalement mettre en place des mesures de régulation du marché comme la mise en réserve d’une partie des récoltes (article 167 du règlement portant OCM), ces dernières souhaitaient également encadrer, à leur niveau collectif, le prix de la réserve lors de la libération de celle-ci, afin notamment d’éviter une fluctuation trop importante entre le prix du volume principal et celui du volume mis en réserve. Plus précisément, lesdites interprofessions envisageaient de prévoir, dans leur accord interprofessionnel, que le prix de la réserve au moment de sa libération ne puisse pas fluctuer au-delà et en dessous d’un certain niveau par rapport au prix du volume principal. Le prix restait en revanche librement fixé par les parties à la vente.
En effet, le secteur vinicole se caractérise, notamment en raison des aléas climatiques, par une certaine fluctuation des volumes et de la qualité des récoltes d’une année à l’autre. Il fait face, en outre, depuis plusieurs années, à une baisse de la demande. Dans ce contexte, les acteurs cherchent à se prémunir contre ces aléas en décidant de mettre en réserve une partie de la récolte de raisins lorsque le volume de celle-ci est élevé et à libérer des volumes mis en réserve lorsqu’une récolte est plus faible qu’anticipée.
L’Autorité considère que, même si la régulation économique du secteur agricole est spécifique en ce que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit expressément une limitation de l’application des règles de concurrence à ce secteur, la mesure d’encadrement du prix des réserves interprofessionnelles envisagée ne rentre pas dans ces dérogations. Les dispositions sur les mesures de régulation de l’offre du secteur vitivinicoles et les dérogations des interprofessions au droit de la concurrence ne permettent pas aux interprofessions de prendre des mesures de fixation des prix (article 167 et 210 du règlement OCM).
Par conséquent, l’Autorité considère que la mise en œuvre par une interprofession d’une pratique qui fixerait de manière uniforme pour tous les opérateurs le taux de fluctuation des prix, est susceptible de constituer une entente sur les prix contraire aux articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420-1 du code de commerce. Selon l’Autorité, cette mesure « inciterait les acteurs à se détourner d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts et limiterait le libre jeu de concurrence » (§52 de l’avis).
S’agissant des possibilités de bénéficier d’une exemption individuelle (paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE et 2° du I de l’article L. 420-4 du code de commerce), l’Autorité se contente de relever, citant son étude thématique relative aux organismes professionnels de janvier 2021 : « sauf circonstances exceptionnelles, la diffusion de consignes tarifaires par un organisme professionnel ne peut cependant jamais faire l’objet d’une exemption individuelle et est condamnée par l’Autorité dans la quasi-totalité des affaires qu’elle a eu à examiner ».
Afin de démontrer le caractère indispensable du dispositif envisagé, les représentants des interprofessions avaient expliqué, notamment, que l’objectif poursuivi était de protéger le marché d’un déséquilibre significatif et des fluctuations trop importantes. Néanmoins, selon l’Autorité cet objectif ne remplit pas les critères cumulatifs exigés pour exempter une entente anticoncurrentielle, notamment parce que, d’après cette dernière, des mesures moins restrictives pourraient être mises en œuvre pour l’atteindre.
L’Autorité relève, dans le prolongement des lois EGAlim, que les organisations interprofessionnelles pourraient insérer, dans leur accord interprofessionnel, une disposition permettant aux acteurs concernés de prévoir dans leurs contrats des bornes minimales ou maximales entre lesquelles le prix de la réserve pourrait fluctuer. En revanche, selon l’Autorité, ces bornes doivent être librement déterminées et convenues par les parties à la transaction, à l’exclusion de toute fixation en commun par l’interprofession.
Cette décision est conforme à la position établie de l’Autorité y compris s’agissant du secteur vitivinicole (arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mai 2022, abordé dans notre article d’actualité à consulter ici, ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône, à lire en intégralité ici).
La Commission européenne, dont la proposition de modification ciblée du règlement portant OCM est attendue très prochainement, dans le sillage des mouvements de protestation d’agriculteurs, et les candidats et futurs députés européens s’empareront-ils des problématiques soulevées par cet avis ?
Vous pouvez consulter :
- ici le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence
- ici l’avis de l’Autorité de la concurrence
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